29 mai 2014

Du Ritalin à 2 ans?

Un rapport du Center for Disease Control (CDC) révèle une situation inquiétante : selon certaines estimations, plus de 10 000 enfants de 2 ou 3 ans aux États-Unis reçoivent de la médication pour traiter un trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Ces résultats ont été présentés au Georgia Mental Health Forum le 16 mai dernier et ont fait l'objet d'un article dans le New York Times.

Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs du CDC ont épluché les réclamations faites auprès du programme Medicaid ou des compagnies d'assurances privées. Ils ont ainsi calculé qu'en Géorgie, 1 tout-petit sur 225 était traité avec des psychostimulants comme le Ritalin ou l'Adderall.

Cette situation inquiète les experts américains puisque ce traitement n'est pas du tout recommandé par les organisations médicales comme l'Académie américaine de pédiatrie (AAP). En fait, cet organisme n'offre même pas de lignes directrices pour diagnostiquer un TDAH chez les moins de 3 ans. Il existe en effet très peu de données scientifiques permettant d'établir ce genre de diagnostic en bas âge.

Avant 4 ans, l'hyperactivité et l'impulsivité font partie du développement normal d'un enfant. Certains experts américains croient donc que la prescription de médicaments comme le Ritalin ou l'Adderall à des tout-petits est une faute professionnelle. Les risques d'effets secondaires sont en effet plus grands chez ces jeunes enfants. Les scientifiques citent entre autres le retard de croissance, l'insomnie, la perte d'appétit et les hallucinations. Certains s'inquiètent également de problèmes cardiaques potentiels et de la dépendance aux drogues à l'adolescence ou à l'âge adulte.

Même chez les 4 à 5 ans, la thérapie comportementale constitue la première option de traitement en présence de symptômes d'hyperactivité ou d'inattention. On enseigne alors aux parents à offrir un environnement plus structuré à leur enfant. On leur explique aussi comment développer un lien positif avec leur petit et comment utiliser efficacement la discipline. Enfin, on aide les parents à avoir des attentes réalistes par rapport au comportement de leur enfant. Dans les cas où ces approches n'apportent aucune amélioration et que l'enfant ne peut pas fonctionner adéquatement dans le quotidien, le médecin pourrait envisager la médication. Ces situations sont toutefois exceptionnelles selon les chercheurs du CDC.

La situation au Québec
Il existe peu d'information sur le TDAH chez les tout-petits québécois. Selon des chiffres de l'Institut de la statistique, 8 % des enfants ont un niveau élevé de symptômes d'hyperactivité et d'inattention entre 3 ans et demi et 8 ans alors que pour 38 % d'entre eux, on parle plutôt d'un niveau modéré. L'Institut universitaire en santé mentale Douglas aborde pour sa part le sujet de l'âge recommandé pour commencer la médication. D'après leur site web, les médicaments peuvent être utilisés à partir de la première année, mais dans 2 à 3 cas sur 500, ils sont offerts à des enfants d'âge préscolaire.

Selon les experts américains, les médicaments pour traiter le TDAH constituent parfois la solution facile de médecins pressés pour parents désemparés. Ce n'est donc pas tout de remettre en question leur utilisation. Investir dans le soutien aux familles représente peut-être la seule vraie façon d'aider ces enfants à s'épanouir.

Sources :

Visser, Susanna.(2014) Implementing the IDT Strategic Plan & Unpacking the GA Data Among Young Children in GA. Rosalynn Carter Georgia Mental Health Forum. 48-67.

Cardin, J.F., Desrosiers, H., Belleau, L., Giguère, C. et Boivin, M. (2011) Les symptômes d’hyperactivité et d’inattention chez les enfants de la période préscolaire à la deuxième année du primaire. Institut de la statistique du Québec : portraits & trajectoires no. 12.

Institut universitaire en santé mentale Douglas. (2012) Réponses d'experts : Déficit de l'attention.

27 mai 2014

Les malheurs de Sophie... la girafe!

Aujourd'hui, je réponds à la question de Cynthia Bertin : « Bonjour, je viens d'accoucher d'un 2e enfant et je viens de me faire dire que Sophie la girafe était cancérigène! Y a-t-il eu de vraies études faites ou s'agit-il seulement de spéculations? »

Jouet très prisé des nourrissons, Sophie la girafe a été vendue à 50 millions d'exemplaires depuis sa mise en marché il y a plus de 50 ans. Voilà cependant qu'en 2011, l'Association UFC-Que choisir crée la controverse : la célèbre girafe serait cancérigène!

L'organisme a en effet testé 30 jouets pour les tout-petits pour déterminer s'ils contenaient des toxines néfastes pour la santé. Ils ont ainsi déterminé que cette pauvre Sophie libérait des précurseurs des nitrosamines lorsqu'elle était mâchouillée.

Les précurseurs des nitrosamines sont des composés qui peuvent se transformer en nitrosamine dans certaines circonstances, par exemple en contact avec l'acidité de l'estomac. Les nitrosamines, elles, sont des substances qui se retrouvent couramment dans l'environnement. Elles proviennent de produits chimiques utilisés en agriculture, du tabac, des détergents, des médicaments, des textiles, etc. Elles sont même présentes naturellement dans certains aliments.

Le problème avec les nitrosamines, c'est qu'elles sont potentiellement cancérigènes. Pourquoi potentiellement? Parce qu'il n'existe pas d'études réalisées chez l'humain se penchant sur le sujet. Par contre, suffisamment de recherches effectuées sur les animaux confirment les propriétés cancérigènes de ces substances. Par mesure de précaution, la plupart des gouvernements en limitent donc la présence dans les jouets.

Revenons maintenant à Sophie. Dans leur étude, l'Association UFC-Que choisir a mesuré un niveau de 0,945 mg/kg de précurseurs des nitrosamines. Le fabricant de la jolie Sophie reconnaît en effet que des traces de nitrosamines se retrouvent dans le jouet. Elles proviendraient de la vulcanisation de la sève d'hévéa qui est utilisée pour la fabriquer. Cependant, selon lui, Sophie demeure un jouet sécuritaire.

Pourquoi? Tout simplement parce que la girafe respecte les normes françaises en vigueur. En France, les jouets peuvent contenir jusqu'à 1 mg de précurseurs des nitrosamines. Selon certains scientifiques, une exposition 100 000 fois supérieure à la réglementation est nécessaire pour voir des effets cancérigènes. Le fabricant de Sophie explique d'ailleurs qu'il faudrait manger 36 Sophie pour être exposé à la même quantité de nitrosamines qu'on retrouve dans un verre de bière.

Alors, pourquoi l'Association UFC-Que choisir est-elle inquiète? Parce que les suces et les tétines doivent respecter une autre norme. En effet, le taux de précurseurs toléré pour ce type de produit est beaucoup plus bas : 0,1 mg/kg (au Canada, on parle même de 0,01 mg/kg). C'est l'argument de l'organisme. Sophie est un jouet qui passe beaucoup de temps dans la bouche des bébés. Les normes pour les suces et les tétines devraient donc s'appliquer à ce jouet. C'est d'ailleurs déjà le cas en Allemagne.

Alors, le fond de la question est précisément là. Les normes sur la toxicité de certaines substances sont-elles assez sévères pour garantir la sécurité des bébés? Ce qui inquiète certains experts, c'est le cumul de l'exposition. En effet, rares sont les bébés qui se contentent de mâchouiller Sophie. Beaucoup de jouets y passent! De plus, on l'a mentionné, les nitrosamines sont présentes partout dans l'environnement. Quel impact cela peut-il avoir à long terme sur le développement des enfants? Beaucoup de questions pour un si petit jouet!

Petite précision : Après la parution de l'étude de l'Association UFC-Que choisir, le fabricant de Sophie s'est engagé à modifier la procédure de fabrication pour éliminer toute trace de nitrosamine. Sur le site de Vulli, on peut consulter le résultat des tests effectués en date du 6 décembre 2012. Selon le rapport, le jouet respecterait maintenant les normes en vigueur en Allemagne.

Chaque semaine, je réponds à une question des lecteurs sur la périnatalité. Il y a quelque chose que vous auriez toujours aimé savoir concernant la grossesse, l'accouchement, l'allaitement ou le développement de l'enfant? Écrivez-moi à info@mamaneprouvette.com et je tenterai de trouver la réponse. (N'étant pas médecin, il ne m'est pas possible de répondre à des questions médicales sur l'état de santé d'une mère ou d'un bébé. Si vous éprouvez des inquiétudes à ce sujet, contactez plutôt un professionnel de la santé.)

Références :
Maccaud, Jérémy. (2011, 2 décembre) Sophie la girafe est-elle toxique? Le Figaro.fr. Consulté le 24 mai 2013

Prudhomme, Cécile. (2011, 1er décembre) « Que choisir » tord le cou de Sophie la Girafe. lemonde.fr. Consulté le 24 mai 2014.

Bertrand, Morgane. (2011, 2 décembre) Sophie la girafe, espèce menacée? Le Nouvel Observateur. Consulté le 24 mai 2014.

NTP. 2011. Report on Carcinogens, Twelfth Edition. Research Triangle Park, NC: U.S. Department of Health and Human Services, Public Health Service, National Toxicology Program. 499 pp.

Société canadienne de pédiatrie. (2014) Les recommandations sur l'usage des sucettes. Consulté le 24 mai 2014.

Gouvernement du Canada. (2014) Règlement sur les produits dangereux (sucettes).

23 mai 2014

Le peau-à-peau pour améliorer les césariennes

Des médecins de Toronto ont l'intention de changer la façon de procéder lors d'une césarienne. À l'hôpital Sunnybrook, il est maintenant possible de mettre le bébé en peau-à-peau avec sa mère dès sa naissance. L'équipe médicale espère ainsi imiter ce qui se passe pour un accouchement vaginal.

Pour y arriver, le bébé est glissé sur l'abdomen de la mère, sous le drap chirurgical, dès sa sortie. Il peut alors être placé sur la poitrine de celle-ci, qui a été désinfectée au préalable pour diminuer les risques d'infection. Selon les médecins initiateurs du projet, la procédure nécessite un obstétricien expérimenté et un professionnel de plus dans la salle d'opération. Si la mère n'est pas en mesure d'être en contact avec son nourrisson, le père peut la remplacer temporairement.

On connaît bien les bénéfices du peau-à-peau lors des accouchements vaginaux. Cette approche aide le bébé à mieux contrôler sa température et son taux de glucose sanguin. Elle favorise aussi l'attachement entre la mère et l'enfant tout en facilitant l'allaitement. Les femmes qui accouchent par césarienne et leur nourrisson pourront maintenant profiter aussi de ces avantages.

La césarienne peut être un évènement éprouvant dans la vie d'une femme. Le fait d'être privée d'un contact privilégié avec son enfant dès la naissance est vécu comme un deuil pour plusieurs d'entre elles. Les mères qui ont participé au projet de l'hôpital Sunnybrook ont donc été très satisfaites de leur expérience. L'une d'entre elles croit même que cette façon de faire devrait devenir une procédure standard.

Les médecins tiennent toutefois à mentionner que toutes les césariennes ne sont pas propices à faire du peau-à-peau. C'est entre autres le cas des césariennes d'urgence. Cependant, avec un taux de césarienne de 25 à 30 %, améliorer la technique pour en limiter les impacts négatifs est impératif, soulignent les médecins ontariens.

Des obstétriciens britanniques ont mis au point une technique semblable et ont publié leurs résultats en 2008. Espérons maintenant que plusieurs hôpitaux canadiens emboîteront le pas à l'hôpital Sunnybrook.

Sources: 
CBC News. (2014, 9 mai) Newborns delivered by C-section to bond skin-to-skin in Toronto study. Consulté le 22 mai 2014.

Sunnybrook Health Sciences Centre. (2014, 7 mai) Skin-to-skin C-sections promote health, bonding. Consulté le 22 mai 2014.

20 mai 2014

Que le meilleur parent gagne!

Cette semaine, dans le cadre du « Pleins feux sur la biodiversité » de l'Agence Science-Presse : les soins des enfants dans le monde animal.

La guerre des mamans (ou Mommy Wars, comme disent les Anglo-saxons) fait rage sur Internet depuis quelques années. Allaitement ou biberon, entraînement au sommeil ou co-dodo, accouchement naturel ou épidurale, mère tigre ou parentage proximal? Quelle est la meilleure façon d'élever ses enfants? Les humains ne semblent toutefois pas être les seuls à ne pas s'entendre sur le sujet.

Il peut sembler évident pour nous, Homo sapiens, qu'un parent doit être présent pour son petit. Cependant, pour plusieurs espèces animales, les soins parentaux constituent un casse-tête évolutif. En effet, lorsqu'un parent s'occupe de son bébé, il utilise des ressources qu'il ne pourra pas employer lui-même pour sa survie, sa croissance ou sa reproduction future. Pour qu'un parent choisisse d'investir auprès de sa progéniture, les bénéfices doivent donc dépasser les coûts.

Les scientifiques ont remarqué qu'il existe beaucoup de variation chez les animaux en ce qui a trait au type de soins parentaux. Plusieurs facteurs ont une influence : la maturité des petits à la naissance, les dangers environnementaux, les occasions de se reproduire, le mode de vie et même l'incertitude de la paternité.

Je vous propose donc aujourd'hui un petit tour d'horizon de la parentalité dans le monde animal.

« Maman, la plus belle du monde »
Chez la majorité des mammifères, la mère est celle qui s'investit le plus auprès des petits. Il est vrai que leurs bébés sont très immatures à la naissance. Sans l'aide de la mère, ceux-ci ne peuvent pas se nourrir ou se défendre des prédateurs. Celles qui choisiraient de ne donner aucun soin se retrouveraient donc rapidement sans progéniture. Cependant, pourquoi les femelles se sentent-elles responsables? Plusieurs hypothèses ont été élaborées à ce sujet. Certains scientifiques croient que chez ces espèces, la femelle investit plus d'énergie dans la production des cellules sexuelles et espère un retour sur son investissement. D'autres proposent que ces femelles ont moins d'occasions d'avoir des relations sexuelles et qu'il est alors primordial que le petit survive. Enfin, lorsque le mâle n'est pas certain de sa paternité, il ménagerait ses efforts.

« Papa a raison »
Selon ces hypothèses, le mâle serait donc responsable des petits lorsque la situation s'inverse. C'est le cas de 61 % des poissons et des amphibiens.

« Partage des tâches »
On remarque d'ailleurs que lorsque les occasions de se reproduire sont égales entre les mâles et les femelles d'une même espèce, les deux sexes s'occupent du petit. Plusieurs oiseaux et 20 % des poissons adoptent ce système.

« Vive la nanny! »
Le coucou a une façon très efficace de réduire son investissement tout en maximisant son profit : il met ses œufs dans le nid des autres oiseaux. Pour s'assurer que son petit sera accepté par la nanny, il n'hésite pas à éjecter les œufs originaux, à pondre d'excellentes copies des oeufs de l'espèce qu'il envahit et à imiter son cri.

« Jamais sans mon bébé! »
Les chauves-souris mexicaines se retrouvent dans une situation un peu particulière. En effet, ces animaux vivent en grande colonie et le risque de mélanger les petits est élevé. Les femelles utilisent donc un système de signaux vocaux et olfactifs pour s'assurer qu'elles s'occupent bien du bon bébé.

« La galère »
Au contraire, les canards, les oies ou les cygnes sont heureux de s'occuper des bébés des autres. Ce genre d'arrangement comporterait en fait peu d'inconvénients pour ces espèces et comporterait même plusieurs avantages. En demeurant en grand groupe, la tribu serait alors en meilleure position pour lutter contre les prédateurs... et le mauvais temps.

« Longue vie à la reine! »
Chez les abeilles, les guêpes, les termites et les fourmis, les bébés sont à la charge d'individus qui ont perdu la capacité de se reproduire. Ceux-ci ont donc la tâche critique de prendre soin des enfants royaux. La mère peut alors continuer à faire des petits sans se soucier du sort de ses autres enfants.

« On s'en fout »
La plupart des arthropodes terrestres de même que les requins ne s'occupent à peu près pas des bébés. Cette méthode représente un extrême qui se justifie par une progéniture mature et fonctionnelle dès la naissance. Certaines espèces produisent aussi un nombre élevé de bébés et peuvent donc souffrir que quelques-uns ne survivent pas.

Le côté merveilleux de toutes ces différentes approches des soins parentaux, c'est qu'elles favorisent en fait la biodiversité. Avec des stratégies variées pour veiller sur les petits, une multitude d'espèces ont pu voir le jour. La leçon de la nature à retenir : il y a plus d'une façon de prendre soin d'un petit...

Références :
Gonzalez-Voyer, A. and Kolm, N. 2010. Parental Care and Investment. eLS.

Kölliker, Mathias. (2012) The Evolution of Parental Care. Oxford University Press.

15 mai 2014

Manger, dormir, bouger : les saines habitudes de vie pendant la petite enfance

Les trois premières années dans la vie d'un enfant sont une période critique pour son développement selon le Dr Julio Soto, professeur à l'École de santé publique de l'Université de Montréal. Cet expert a tout de suite donné le ton au Colloque Santé et Petite Enfance : comment soutenir les saines habitudes de vie en contextes éducatifs? présenté dans le cadre du 82e Congrès de l'Acfas.

Le principal objectif de cet évènement qui réunissait plusieurs spécialistes de la petite enfance était de s'interroger sur l'impact des saines habitudes de vie sur la santé des enfants et sur la façon dont les services de garde éducatifs peuvent y contribuer. 

Le Dr Soto a débuté en discutant des nombreux facteurs pouvant influencer le développement du cerveau dans les premières années de la vie. Celui-ci est en effet très vulnérable aux perturbations telles que les déficits nutritionnels ou la présence de toxines environnementales, mais aussi au manque de stimulation et d'affection. Les bénéfices d'investir dans la petite enfance sont donc énormes et la santé des enfants devrait être une priorité, selon lui.

Les experts se sont ensuite enchaînés pour expliquer comment favoriser les saines habitudes de vie chez les tout-petits.

Pascale Morin, professeure à la Faculté d'éducation physique et sportive de l'Université de Sherbrooke, a présenté ses recherches sur la perception de l'obésité infantile par les parents qui travaillent. Ses résultats démontrent que ceux-ci sont conscients de cette problématique, mais qu'ils manquent parfois de temps pour la préparation des repas. Selon elle, les parents qui se sentent compétents par rapport à l'alimentation sont beaucoup plus susceptibles d'adopter des stratégies qui favorisent une bonne nutrition.

Dominique Petit, agente de recherche au Centre d'études avancées en médecine du sommeil de l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, a voulu sensibiliser l'auditoire à l'importance de bien dormir pour les tout-petits. Selon les études citées par Mme Petit, les enfants qui dorment moins de 9 heures par nuit courent plus de risques de développer des problèmes d'hyperactivité, des baisses de performance cognitive et des retards de langage. Elle rappelle donc la nécessité d'informer les parents et de les accompagner pour trouver des solutions aux troubles de sommeil.

L'après-midi a été consacré en grande partie à l'activité physique. Julie Poissant, conseillère scientifique en périnatalité et en petite enfance à l'Institut national de santé publique, a présenté les conclusions d'un groupe d'expert sur la place des écrans et sur l'importance de diminuer l'exposition des tout-petits. Écouter la télévision constitue en effet une activité sédentaire qui nuit donc à un mode de vie actif. Camille Gagné, professeure à la Faculté des sciences infirmières de l'Université Laval, nous a d'ailleurs rappelé que les enfants bougent très peu. Alors qu'on recommande 2 heures d'activités physiques par jour en milieu de garde, les petits Québécois se limitent plutôt à 53 minutes. Plusieurs barrières comme le manque d'espace adéquat ou l'obsession du risque privent malheureusement les petits d'occasion pour bouger.

Ce colloque aura donc permis de discuter de la promotion des saines habitudes de vie chez les tout-petits. En effet, les mauvais plis peuvent rester longtemps, d'où l'importance d'agir tôt pour donner à nos enfants un meilleur départ ou une « nouvelle aube » pour citer Dr Soto.

10 mai 2014

Petite histoire de la biologie de la reproduction

Dans le cadre du 24 heures de science, le Réseau québécois en reproduction et la Clinique OVO ont présenté un atelier animé par l'embryologiste Simon Phillips : L'art de concevoir.

Mères porteuses, donneuses d'ovules, désir d'enfant : le sujet de la fécondation in vitro refait les manchettes depuis quelques semaines. Après tout, il est légitime de s'interroger à l'occasion sur l'utilisation de nouvelles technologies médicales. Cependant, la science de la reproduction n'est pas aussi récente qu'on le croit.

Si le premier bébé né par fécondation in vitro a vu le jour il n'y a même pas 40 ans, les premières tentatives pour améliorer le sort des personnes infertiles datent en fait du 18e siècle. 

En 1790, pour la première fois, une femme est inséminée avec le sperme de son mari, raconte Simon Phillips, embryologiste à la clinique OVO. Le premier don de sperme a ensuite lieu en 1844 lorsqu'une équipe de médecins conclut que le mari de la femme à inséminer ne produit pas de spermatozoïdes dans son éjaculat. Pas de problèmes pour ces scientifiques toutefois : ils choisissent le plus bel étudiant du groupe pour inséminer la future mère... sans l'aviser!

Il faudra attendre une centaine d'années pour assister à la première congélation de sperme. Par la suite, dans la deuxième moitié du 20e siècle, les techniques évoluent rapidement. En 1965, des processus in vitro de maturation d'ovules sont mis au point et la première fertilisation in vitro a lieu en 1969, explique Dr Phillips.

En 1976, les scientifiques sont prêts pour la première implantation d'un embryon conçu in vitro. Malheureusement, l'expérience se soldera par une grossesse ectopique. Ce n'est donc qu'en 1978 que naîtra Louise Brown, le premier bébé éprouvette. Robert Edwards, l'embryologiste britannique qui a réussi la procédure, recevra le prix Nobel en 2010 pour ses travaux.

Depuis cette percée historique, la congélation d'embryon, le diagnostic préimplantatoire et la micro-injection des spermatozoïdes ont vu le jour.

Une aventure périlleuse
L'intérêt pour la biologie de la reproduction a débuté très tôt dans notre Histoire probablement parce que le système reproducteur humain n'est pas des plus efficace. Chez plusieurs animaux, le moment de la reproduction n'a lieu qu'une fois par année et pourtant les femelles sont fécondées presque systématiquement, rappelle Dr Phillips. C'est loin d'être le cas chez l'humain.

Dans un film intitulé « Spermatozoïdes : Que le meilleur gagne », on s'amuse d'ailleurs à imaginer le parcours d'un spermatozoïde à notre échelle. Si celui-ci était un humain, il devrait entre autres traverser un tunnel long de 320 km pour sortir de l'épididyme dans les testicules. Il parcourrait ensuite 24 km en moins de 2 secondes lors de l'éjaculation pour finalement arriver dans le système reproducteur féminin, l'équivalent d'une chaîne de montagnes hostile. Il n'est donc pas étonnant que la presque totalité d'entre eux ne termine pas le voyage. Et nous parlons ici de couples en santé!

La reproduction est un processus complexe. L'infertilité, c'est-à-dire l'absence de grossesses après un an de relations sexuelles sans contraception, touche un couple sur cinq selon le Dr Phillips. L'infertilité masculine serait aussi fréquente que l'infertilité féminine et, dans le tiers des cas, la cause demeure inexpliquée.

Référence :
Phillips, Simon. (2014, 9 mai) « L'art de concevoir ». Atelier organisé par le Réseau québécois en reproduction et la Clinique OVO dans le cadre du 24 heures de science.

5 mai 2014

Mettez-y du miel... antibactérien?

Cette semaine, je réponds à la question de Geneviève Coulombe : « J'aimerais en savoir plus sur le Medihoney  pour traiter les douleurs aux mamelons. »

La douleur aux mamelons est l'une des raisons souvent invoquées pour expliquer un sevrage précoce. L'apparition d'une multitude de produits sur le marché pour traiter cette problématique n'est donc pas surprenante. L'un des derniers en liste est le miel antibactérien, commercialisé sous le nom de Medihoney.

Des fleurs de manuka
Les scientifiques savent depuis longtemps que le miel a des vertus antimicrobiennes. Toutefois, cette particularité semble varier en fonction de l'origine biologique du miel de même que de l'endroit sur la planète où il a été récolté. Le miel de manuka, un arbuste poussant en Nouvelle-Zélande, aurait des propriétés intéressantes. C'est ce dernier qui est utilisé pour produire Medihoney.

Plusieurs études ont en effet démontré que le miel de manuka était utile pour traiter certaines infections chroniques qui ne répondent plus aux antibiotiques. Des expériences en laboratoire indiquent que ce produit est efficace contre la bactérie Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline. En faible quantité, le Medihoney pourrait même améliorer l'efficacité des antibiotiques.

L'effet du Medihoney serait dû entre autres à deux molécules, le méthylglyoxyl et le peroxyde d'hydrogène. Selon certains scientifiques, c'est la présence de plusieurs composantes antimicrobiennes différentes qui expliquerait que ce produit ne favorise pas la résistance bactérienne. D'autres suggèrent que Medihoney empêcherait carrément l'apparition de mutations causant la résistance ou qu'il tuerait les bactéries avant même qu'elles puissent en développer. Le contenu élevé en sucre du miel pourrait aussi déshydrater les microorganismes.

C'est probablement en raison de ces propriétés que certaines consultantes en lactation américaines comme Nancy Mohrbacher et Marsha Walker incluent maintenant le miel dans leur liste d'options pour traiter les mamelons blessés. Cette dernière parle toutefois d'une utilisation anecdotique par plusieurs cliniciens en allaitement.

À ce jour, aucune étude n'a toutefois été réalisée sur l'utilisation de Medihoney par les mères allaitantes. « Je n'avais jamais entendu parler de ce produit, mais selon le site web du fabricant, des études cliniques en bonne et due forme ont été faites pour certains types de plaies graves, comme les ulcères et les plaies de lit. Le seul problème possible que je vois, c'est qu'il ne semble pas y avoir de données à propos de la sûreté chez le nourrisson, » explique Olivier Bernard, pharmacien et auteur du blogue Le Pharmachien. « D'ailleurs, la brochure de Medihoney ne mentionne nulle part l'utilisation sur les mamelons. Il serait donc préférable de s'assurer qu'il ne reste plus de Medihoney sur le mamelon avant les boires. »

On sait en effet que le miel peut contenir des spores de la bactérie Clostridium botulinum. Ce microorganisme peut causer une paralysie et la mort chez les bébés de moins d’un an. Il faut toutefois mentionner que Medihoney est irradié afin de détruire ces spores.

Malgré cette précaution, Olivier Bernard préfère être prudent. « Si leur miel a des effets bénéfiques aussi importants, c'est nécessairement parce qu'il contient des composés spéciaux que l'on ne retrouve pas dans le miel conventionnel, n'est-ce pas? Cependant, leur produit est pour usage topique et non pas pour usage oral. Peut-être que l'ingestion des fameux composés n'est pas une bonne idée? Je doute qu'il y ait des risques, mais je suis toujours plus conservateur quand il est question de grossesse et d'allaitement. » De son côté, Nancy Mohrbacher recommande d'éviter le produit en présence d'allergie au miel ou aux piqûres d'abeilles.

Medihoney constitue donc un produit avec un potentiel intéressant pour soigner les plaies sur les mamelons. Cependant, tant qu'on n’aura pas déterminé de façon plus convaincante s'il est sécuritaire pour les bébés, s'en tenir aux traitements conventionnels est peut-être préférable. 

Références :
Mohrbacher, Nancy. (n. d.) Nipple pain & trauma : Causes & treatment. Présentation Power Point

Müller P, Alber DG, Turnbull L, Schlothauer RC, Carter DA, Whitchurch CB, Harry EJ. (2013) Synergism between Medihoney and rifampicin against methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA). PLoS One. 2013;8(2) : e57679. doi : 10.1371/journal.pone.0057679. Epub 2013 Feb 28.

Simon A1, Traynor K, Santos K, Blaser G, Bode U, Molan P. (2009) Medical honey for wound care--still the 'latest resort'? Evid Based Complement Alternat Med. 6(2) : 165-73. doi : 10.1093/ecam/nem175. Epub 2008 Jan 7.

RelaxNews. (2011, 8 août) Un nouveau produit au miel pour traiter les plaies. La Presse.

Walker, M. (2013) Are There Any Cures for Sore Nipples? Clinical Lactation 4 (3) : 106-115.

1 mai 2014

L'effet mystérieux du déclenchement du travail sur les césariennes

Il y a de ces nouvelles qui défient la raison. On a beau les regarder sous tous les angles possibles, on est forcé d'avouer « Je ne comprends pas comment cela peut être possible ». C'est le cas de cette étude qui nous arrive directement d'Angleterre et qui bouscule tout. Elle proclame que le déclenchement du travail, non seulement n'augmente pas le risque de césarienne, mais le diminue.

Il faut d'abord savoir que la plupart des intervenantes en périnatalité s'entendent pour dire que le déclenchement du travail cause parfois une cascade d'interventions qui mène malheureusement trop souvent à une césarienne. En fait, la Société des obstétriciens et des gynécologues du Canada, dans sa directive clinique no 296 révisée en septembre 2013, inclut la césarienne comme un risque accru par le déclenchement de l'accouchement. Je crois que personne ne considère cet organisme comme un rassemblement de hippys qui souhaitent accoucher au milieu de la nature par un soir de pleine lune!

Alors, comment expliquer les résultats rapportés par les chercheurs britanniques?

Comme le fait très justement remarqué Mariève Paradis de Planète F, les scientifiques ont eu la drôle d'idée de mettre dans le même bateau toutes les méthodes pouvant potentiellement peut-être déclencher le travail : de l'infâme ocytocine synthétique à l'homéopathie en passant par les prostaglandines pour ramollir le col de l'utérus. Il s'agit d'un choix discutable puisque ces techniques ont des mécanismes très différents. On ne s'attend donc pas à ce qu'elles aient toutes le même effet sur les risques de césarienne.

Lorsqu'on regarde un peu plus en détail, le mystère s'épaissit encore. Par exemple, globalement, les méthodes de déclenchement du travail diminuent les risques de césarienne, disent les chercheurs. Cependant, si on analyse chaque technique individuellement, seulement 4 sur 11 ont un véritable effet : les prostaglandines, les méthodes mixtes, le misoprostol et... tenez-vous bien... les méthodes alternatives (Vous savez ces trucs de grands-mères qui ne fonctionnent pas pour déclencher le travail...)

Vous êtes étonnés? Il y a plus. Si on considère que l'induction est une technique pour ramollir le col, le risque de césarienne diminue. Même chose si l'induction sert seulement à stimuler les contractions utérines. Cependant, si on croit que l'induction se fait sur les deux tableaux, alors il n'y a plus d'effet.

Vous en voulez encore? Eh bien, voici. Vous vous rappelez que le déclenchement du travail réduit le risque de césarienne, c'est la conclusion principale des chercheurs après tout. Si on étudie seulement les femmes dont c'est le premier bébé, il n'y a pourtant pas d'effet. Pour être honnête, il n'y a pas d'effet pour les femmes dont ce n'est pas le premier accouchement non plus.

En d'autres termes, dans cette étude, les résultats semblent se modifier selon qu'on étudie les données regroupées ou séparées en groupe distinct. Cette observation rappelle une bizarrerie statistique fascinante : le paradoxe de Simpson. (Je vous conseille d'ailleurs fortement de lire ce billet de blogue qui est très instructif.) Pour être plus précise, disons « qu'une corrélation peut disparaître ou même s’inverser suivant que l’on considère les données dans leur ensemble, ou bien segmentées par groupes. » L'auteur du blogue Science étonnante explique bien le phénomène. « C’est-à-dire qu’à cause de la distribution hétérogène de l’échantillon, regrouper les données pointe une tendance qui peut être fausse, et qui disparaît si on analyse les données en séparant selon le facteur de confusion. »

Bref, avant de conclure que toutes les femmes devraient être déclenchées pour éviter une césarienne, il serait peut-être bon d'analyser plus en profondeur la rigueur statistique de cette étude. Malheureusement, il ne s'agit pas de l'une de mes forces. S'agit-il vraiment du paradoxe de Simpson? Je n'en sais rien, mais des résultats qui se contredisent eux-mêmes méritent à tout le moins qu'on s'y attarde!

Je terminerai donc sur cette pensée à méditer. Pendant qu'on cherche à savoir si le déclenchement réduit le nombre de césariennes, on évite soigneusement de parler des autres risques qui lui sont associés (gracieuseté de la Société des obstétriciens-gynécologues du Canada!) : accouchement vaginal instrumentalisé, hyperstimulation utérine, détresse fœtale, rupture utérine, prolapsus du cordon. Lorsqu'on y pense, on devrait peut-être réserver le déclenchement du travail aux femmes qui en ont vraiment besoin.

Références :
Willacy H. Labour — active management and induction. Patient.co.uk; 2009.

Mishanina E, Rogozinska E, Thatthi T, Uddin-Khan R, Khan KS, Meads C. Use of labour induction and risk of cesarean delivery: a systematic review and meta-analysis. CMAJ. 2014 Apr 28. [Epub ahead of print]

Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Directive clinique no. 296 : Déclenchement du travail.