14 avril 2015

Manger le placenta: d'hier à aujourd'hui

Dans ma dernière revue de presse, je faisais référence à un article du site Scientific American qui abordait une pratique peu répandue : manger le placenta après l’accouchement. On sait en effet que peu de mères occidentales du 21e siècle le consomment après naissance de leur enfant. Qu'en est-il toutefois des mères ailleurs dans le monde ou de celles qui nous ont précédées? La réponse risque malheureusement de décevoir les adeptes de la placentophagie.

En effet, ce n'est pas d'hier que la placentophagie a mauvaise presse. Déjà dans l'Ancien Testament, on met en garde les Israélites en disant que s'ils ne suivent pas les préceptes de Dieu, ils vivront comme des bêtes, allant jusqu'à pratiquer la placentophagie. Selon les anthropologues, ce passage ferait référence à une ancienne pratique tribale. La famine serait toutefois la principale raison expliquant la placentophagie dans les temps anciens, croient-ils.

Dans les 300 dernières années, seule une très petite minorité d'humains modernes consomme le placenta humain, révèlent la plupart des études anthropologiques. Dans certaines cultures, on condamne même fortement la placentophagie, ce qui indiquerait qu'elle n’est pratiquée qu’à l'occasion. La majorité des cultures brûle ou enterre le placenta.

Ainsi, dans une étude réalisée en 1975 sur 296 groupes culturels humains, aucune trace de placentophagie n'a été notée. Dans un autre article passant en revue des rapports ethnologiques concernant 179 sociétés humaines, une seule culture mentionne la placentophagie, mais la pratique rarement.

Dans quelques cultures, des propriétés magiques ou médicinales peuvent toutefois être associées au placenta. Un fragment du placenta ou du cordon ombilical peut alors être conservé comme un talisman. Voici quelques exemples :
  • Dans la grande Pharmacopée de Li Shih-chen vers 1596, on recommande une mixture de lait humain et de tissus placentaires pour soigner un type d'épuisement caractérisé par de l'anémie, de la faiblesse dans les extrémités et la froideur des organes sexuels associée à l'éjaculation involontaire de sperme. Dans certaines régions de l'Indonésie, le placenta était enterré avec soin et préservé pendant la première année de vie de l'enfant pour l'utiliser en cas de maladie.
  • Dans la campagne polonaise, certains paysans sèchent le placenta et l'utilisent sous forme de poudre comme un médicament.
  • Les Kurtachi des Iles Salomon préservent le placenta dans un pot de chaux qui contient la réserve de chaux en poudre de la mère.
  • En Jamaïque, les membranes placentaires sont utilisées pour prévenir les convulsions chez un enfant irrité par un fantôme.
  • Les Chaga du Tanganyika mettent le placenta dans un réceptacle puis le rangent au grenier. Il est alors moulu en farine pour faire un gruau offert aux femmes âgées de la famille.
  • Dans la tribu des Kol au centre de l'Inde, une femme infertile peut manger du placenta pour retrouver la fertilité, mais cela pourrait porter malheur à la famille à qui appartenait le placenta.
Pourquoi les humains ne mangent-ils pas le placenta?
L'absence visible de traditions culturelles associées à la placentophagie dans les rapports ethnographiques soulève des questions sur son absence dans la culture humaine préhistorique, historique et moderne.

Du point de vue anthropologique, on peut se demander pourquoi les humains ne pratiquent pas la placentophagie. Pourrait-il y avoir des avantages évolutifs à ne pas le faire? Plusieurs hypothèses, dont certaines un peu farfelues, ont été émises par les anthropologues :
  • Puisque le placenta contiendrait des substances analgésiques, le fait que les femmes ne consomment pas le placenta pourrait leur causer une plus grande douleur lors de la naissance et cela les obligerait à aller chercher l'aide des autres membres du groupe auquel elles appartiennent. Ultimement, l'absence de placentophagie pourrait renforcer les liens sociaux au sein du groupe;
  • la consommation de placenta ou de liquide amniotique cru serait nuisible pour l'humain, les différences entre le placenta humain et le placenta des autres espèces augmentant la dangerosité de sa consommation;
  • l'utilisation du feu par les humains a mené à l'évitement de la placentophagie chez notre espèce. Les femmes enceintes qui seraient exposées à la fumée et à la cendre filtreraient en effet ces produits toxiques avec leur placenta. L'accumulation de toxines dans le placenta pourrait donc être problématique si celui-ci est consommé, ce qui aurait mené à l'élimination de ce comportement.
Quelques chiffres sur la placentophagie aujourd'hui (selon des données de 2013) :
•    66 % des gens ont entendu parler de la placentophagie.
•    23,1 % en ont entendu parler dans les médias.
•    À peine 3% des répondants avaient déjà consommé des tissus placentaires.
•    Raisons données pour consommer le placenta : 34 % pour améliorer l'humeur, 10 % parce que cela leur a été recommandé par un partisan de la placentophagie, 8 % pour restaurer les hormones, 7 % pour augmenter la lactation et 7 % pour récupérer après l'accouchement.

- Ce billet a également été publié dans Les Pas Sages, le journal de l’Association des Étudiantes Sages-Femmes du Québec.

À propos du placenta
Listeria à l'attaque du placenta
Misez sur le placenta!
Le rôle du placenta pour protéger le foetus

Sources:
Gwendolyn E. Cremers & Kathryn Graff Low. Attitudes Toward Placentophagy: A Brief Report. Health Care for Women International, 2013 May 2013. 

Kristal MB. Placentophagia: a biobehavioral enigma (or De gustibus non disputandum est). Neurosci Biobehav Rev. 1980 Summer;4(2):141-50.

Kristal MB, DiPirro JM, Thompson AC. Placentophagia in humans and nonhuman mammals: causes and consequences. Ecol Food Nutr. 2012; 51(3):177-97. doi: 10.1080/03670244.2012.661325

Menges M. [Evolutional and biological aspects of placentophagia]. Anthropol Anz. 2007 Mar; 65(1):97-108.)

Selander J, Cantor A, Young SM, Benyshek DC. Human maternal placentophagy: a survey of self-reported motivations and experiences associated with placenta consumption. Ecol Food Nutr. 2013;52(2):93-115.

Young SM, Benyshek DC, Lienard P. The conspicuous absence of placenta consumption in human postpartum females: the fire hypothesis. Ecol Food Nutr. 2012;51(3):198-217. doi: 10.1080/03670244.2012.661349.

Young SM, Benyshek DC. In search of human placentophagy: a cross-cultural survey of human placenta consumption, disposal practices, and cultural beliefs. Ecol Food Nutr. 2010 Nov-Dec;49(6):467-84. doi: 10.1080/03670244.2010.524106.