29 mars 2013

Quatre questions sur les banques de lait maternel

Si l'annonce du ministre Hébert d'aller de l'avant avec l'implantation d'une banque de lait maternel au Québec a réjouit le milieu de l'allaitement, ce projet suscite tout de même de nombreuses questions chez les non-initiés.  Est-ce que les mères accepteront de donner leur lait? Les parents de prématurés sont-ils à l'aise avec l'idée d'offrir le lait d'une autre femme à leur enfant?  Qu'en pensent les professionnels de la santé? Le fait d'avoir du lait maternel pasteurisé de donneuses nuira-t-il à l'allaitement au sein? Petite revue de littérature rapide pour répondre à ces questions.

Y a-t-il des donneuses potentielles?
La question est légitime. C'est bien d'avoir une banque de lait maternel mais encore faut-il des donneuses pour fournir le lait en question. Alors, est-ce que les mères allaitantes sont prêtes à donner du lait pour les prématurés? Selon une étude réalisée en Australie, il semblerait que oui. Des chercheurs ont en effet interrogés des mères allaitantes pour déterminer si ces femmes seraient intéressées à donner de leur lait. Celles-ci ont répondu oui mais à condition que la procédure soit simple et qu'elle ne prenne pas trop de temps.

Les parents veulent-ils vraiment offrir le lait d'une autre femme à leur bébé?
Il existe encore un tabou autour du don de lait. Peut-être parce que l'allaitement est un geste intime, certains s'imaginent mal un bébé boire le lait d'une autre femme que sa mère. Pourtant, on n'a pas de problèmes avec l'idée de transférer du sang d'un individu à l'autre. Revenons donc aux parents d'enfant prématurés. Qu'en pensent-ils? Toujours selon la même étude australienne, les mères de bébés prématurés disent qu'elles utiliseraient le lait provenant d'une banque de donneuses si on leur garantit que ce lait est sécuritaire et approprié pour leur bébé.

Est-ce que les professionnels de la santé vont embarquer dans ce projet?
Pour que l'implantation d'une banque de lait maternel soit un succès, il est primordial de compter sur la collaboration des professionnels de la santé qui travaillent avec les bébés prématurés. Selon une autre étude australienne, la majorité des professionnels de la santé appuie l'idée d'une banque de lait. Par exemple, 81 % sont d'accord que le lait maternel pasteurisé provenant de donneuses réduit la fréquence des entérocolites nécrosantes, une pathologie de l'intestin. De plus, 78,8 % admettent que ce lait est supérieur aux préparations commerciales pour nourrisson. Il reste toutefois encore de l'éducation à faire puisque près du tiers des professionnels de la santé interrogé (et 47,8 % des médecins) jugent que l'implantation d'une banque de lait n'est pas justifiée.

Est-ce que la présence d'une banque de lait risque de réduire les efforts pour supporter les mères qui souhaitent allaiter?
Certaines personnes craignent que si du lait maternel de donneuses est disponible, les professionnels de la santé ne mettront plus autant d'efforts pour aider les mères de prématurés à allaiter. Cependant, cela ne semble pas être le cas. Tout d'abord, en Espagne, on a comparé les taux d'allaitement exclusif lors de la sortie de la maternité avant et après l'implantation d'une banque de lait. Les chercheurs n'ont pas observé de changement à ce niveau mais ils ont constaté que la proportion de bébés recevant des préparations commerciales avait diminué par 23 %. Deuxièmement, en Italie, on a examiné les taux d'allaitement d'hôpitaux avec ou sans banque de lait maternel. Le taux d'allaitement dans les hôpitaux avec banque de lait était de 60,4% et dans ceux sans banque, de 52,8%. Les résultats étaient encore plus significatifs pour les taux d'allaitements exclusifs: 29,6 % pour les hôpitaux avec banque de lait et 16 % pour les hôpitaux sans banque. Ces deux études semblent donc indiquer que la présence d'une banque de lait ne diminue pas les taux d'allaitement et peut même les augmenter dans certains cas.

L'idée d'une banque de lait maternel au Québec est nouvelle pour bien des gens. Cela suscite donc de nombreuses questions. Heureusement, l'expertise d'autres pays en la matière nous offre plusieurs réponses et aussi des pistes pour faire de la banque de lait maternel québécoise un franc succès.

Pour en savoir plus sur les banques de lait maternel:
Question de la semaine: Quelle est la situation des banques de lait dans le monde?
Impact de la pasteurisation sur le lait maternel


Références:
Utrera Torres MI, Medina López C, Vázquez Román S, Alonso Díaz C, Cruz-Rojo J, Fernández Cooke E, Pallás Alonso CR.. (2010) Does opening a milk bank in a neonatal unit change infant feeding practices? A before and after study. Int Breastfeed J. 5:4. doi: 10.1186/1746-4358-5-4.

Mackenzie C, Javanparast S, Newman L. (2013) Mothers' Knowledge of and Attitudes toward Human Milk Banking in South Australia: A Qualitative Study. J Hum Lact. 2013 Mar 20. [Epub ahead of print]

Arslanoglu S, Moro GE, Bellù R, Turoli D, De Nisi G, Tonetto P, Bertino E. (2013) Presence of human milk bank is associated with elevated rate of exclusive breastfeeding in VLBW infants. J Perinat Med. 41(2):129-31. doi: 10.1515/jpm-2012-0196.


Lam EY, Kecskés Z, Abdel-Latif ME. (2012) Breast milk banking: current opinion and practice in Australian neonatal intensive care units. J Paediatr Child Health. 48(9):833-9. doi: 10.1111/j.1440-1754.2012.02530.x.