12 janvier 2015

Honte et culpabilité: mères allaitantes et non-allaitantes, même combat

Lors de la conception de mon sondage sur la culpabilité, je n'ai pu résister à la tentation de mettre quelques questions sur l'allaitement. Le but : savoir si les mères qui utilisent du lait artificiel et celles qui allaitent vivent la culpabilité de la même façon. Selon les résultats de mon sondage, leur vécu est plutôt similaire. Cela confirme d'ailleurs les conclusions très intéressantes parues dans un article intitulé « Honte à vous si vous le faites, honte à vous si vous le ne faites pas » (en anglais « Shame if you do, shame if you don't »).

Revenons d'abord brièvement à mon sondage, qui n'a rien de scientifique, je le rappelle. Les résultats semblent indiquer que les mères allaitantes et les non allaitantes ressentent autant de culpabilité les unes que les autres, à quelques exceptions près. Les mères qui ont eu recours aux préparations commerciales (exclusivement ou de concert avec l'allaitement) semblent un peu plus nombreuses à se sentir coupables quotidiennement (24 % disent se sentir coupables tous les jours contre 10 % des mères qui allaitent). Les mères allaitantes, pour leur part, recevraient un peu plus souvent des commentaires culpabilisants des professionnels de la santé et des inconnus. Pour le reste, le vécu des femmes est le même, peu importe le mode d'alimentation de leur bébé.

La honte de nourrir son bébé
Mes résultats sont très similaires à ceux décrits par des chercheuses européennes qui se sont intéressées à la honte vécue par les mères en lien avec l'alimentation de leur bébé. Bien qu'il s'agisse de deux sentiments très proches, la culpabilité et la honte ne sont pas exactement la même chose. La culpabilité montre le bout de son nez lorsqu'on croit avoir fait quelque chose de mal. La honte, elle, est ressentie si nous ne parvenons pas à être la personne que nous souhaitons. Cependant, dans bien des cas, la culpabilité peut mener à la honte.

Les chercheuses ont donc rencontré 63 femmes dans des groupes de discussion portant sur leur expérience d'alimentation de leur bébé. Leur conclusion : la honte est vécue autant par les mères allaitantes que par les mères utilisant des laits artificiels. Selon les chercheuses, lorsque l'expérience d'alimentation d'un enfant ne se passe pas comme prévu, cela peut mener à des sentiments d'incompétence. Les mères se sentent alors inadéquates ou inférieures.

Les scientifiques rappellent également que même si une mère sait qu'elle n'a rien fait de mal, elle peut ressentir de la honte, car elle craint de présenter une image négative d'elle-même aux autres. Les commentaires de l'entourage peuvent amplifier ce sentiment. Les mères allaitantes interrogées souffraient de se faire dire « Tu as l'air d'une vache », alors que les mères qui n'allaitaient pas percevaient une pression à allaiter. En d'autres termes, les mères qui n'allaitent pas croient que leur choix représente un échec alors que celles qui allaitent peuvent avoir l'impression que leur décision est socialement inacceptable, en particulier dans une culture où la sexualisation des seins est très importante.

Nourrir son bébé dans l'espace public peut également devenir une source de honte, ont noté les chercheuses. Les mères allaitantes craignaient qu'on leur reproche d'exposer leur corps. Certaines évitaient d'allaiter à l'extérieur de chez elles à la seule pensée du jugement des autres. Cela dit, donner le biberon en public était tout aussi difficile pour certaines mères qui ressentaient le besoin de cacher leur biberon de peur d'entendre la question fatidique « Pourquoi tu n'allaites pas? »

Les auteures de l'article concluent en disant qu'un soutien déficient induit la honte chez les mères qu'elles allaitent ou non. Malheureusement, la honte peut amener les mères à ne pas aller chercher de l'aide, par peur d'avoir l'air inadéquates. Les remarques des professionnels peuvent être cruelles parfois. Dans cette étude, les mères qui utilisaient des laits artificiels se sentaient comme de mauvaises mères. On leur faisait sentir qu'il y avait un problème avec elle ou avec leur bébé. Les mères allaitantes, elles aussi, se faisaient dire que leur bébé était paresseux, trop gourmand ou que leurs mamelons et leurs seins étaient trop gros ou trop petits. Si elles tenaient à allaiter, on leur disait « Pourquoi te donnes-tu tout ce mal? » D'autres se sont carrément faites accuser d'être égoïstes et de ne pas vouloir partager les soins du bébé avec leur entourage.

Qu'on parle d'allaitement ou d'alimentation artificielle, le résultat pour le sentiment de compétence des mères est parfois le même. Ces femmes développent alors des mécanismes de défense contre la honte. Par exemple, certaines évitent les choses et les gens qui leur font ressentir ce sentiment alors que d'autres choisiront de blâmer les autres. Ces comportements expliquent peut-être l'animosité qui surgit lorsqu'on parle d'allaitement. Beaucoup de travail est donc nécessaire pour améliorer l'image que les mères se font d'elles-mêmes et pour les aider à réaliser qu'elles se ressemblent un peu plus qu'elles ne le croient.

Aussi dans ce dossier:
La culpabilité et vous!
Les pères et les mères sont-ils égaux face à la culpabilité?

Sources:
Les parents et la culpabilité: Sondage réalisé sur Survey Monkey auprès de 186 répondants, du 23 au 31 décembre 2014. Le lien vers le sondage a été diffusé sur les médias sociaux.

Thomson G, Ebisch-Burton K, Flacking R. Shame if you do – shame if you don't: women's experiences of infant feeding. Maternal and Child Nutrition. Published online August 19 2014