29 juillet 2014

La saga du fer et des aliments solides

De tous les minéraux et les vitamines dont un bébé a besoin, c'est sans doute le fer qui fascine le plus notre imaginaire collectif. Du clampage du cordon à l'introduction des solides, on tente par tous les moyens de s'assurer qu'il est disponible en quantité suffisante. Il faut avouer qu'il est essentiel à la fabrication de l'hémoglobine qui sert à transporter l'oxygène vers les organes et les muscles. C'est sans doute pourquoi le corps du bébé possède un système de régulation très complexe pour faciliter son absorption.

Chez un nouveau-né allaité exclusivement, la capacité à bien assimiler le fer est primordiale. Le lait maternel contient en effet très peu de fer. Cependant, la nature faisant bien les choses, les bébés l'absorbent très bien. Leur intestin peut en effet aller chercher 16 à 25 % de ce fer.

En 1979, des chercheurs finlandais font une découverte importante. Ils mesurent l'assimilation du fer chez des nourrissons, de la naissance à l'âge de 4 mois. Ils notent alors que sa biodisponibilité, c'est-à-dire sa capacité à être absorbée, diminue autour de 4 mois. Ils émettent donc l'hypothèse que les aliments d'origine végétale bloquent l'absorption du fer.

C'est probablement cette étude qui est à l'origine d'une croyance très persistante dans le monde de la périnatalité : le fait d'offrir de la nourriture solides trop tôt nuirait à l'assimilation du fer dans le lait maternel et mettrait l'enfant à risque de développer une carence. On utilise d'ailleurs souvent cet argument dans les débats portant sur l'âge d'introduction des solides. Mais, cette hypothèse est-elle fondée?

Pas selon des chercheurs du Texas. En 1997, ceux-ci remarquent que les bébés plus âgés absorbent moins bien le fer que les bébés plus jeunes. Toutefois, leurs résultats démontrent que l'absorption du fer du lait maternel demeure élevée même si l'enfant reçoit des aliments solides. En fait, les réserves de fer du bébé n'en affecteraient pas l'assimilation. Ces chercheurs supposent que ce sont plutôt des composantes du lait lui-même qui importent pour l'absorption du fer. Plusieurs consultantes en lactation évoquent notamment le lactose et la vitamine C. Voilà qui devrait donc régler la question du fer et des solides.

Eh bien, non! En 2002, des scientifiques comparent l'assimilation du fer chez des bébés de 6 mois et de 9 mois. Ils remarquent alors que chez les enfants qui ne reçoivent pas de supplément de fer, l'absorption passe de 16,4 % à 36,7 % pendant ces trois mois de vie. Ce résultat contredit complètement les conclusions des Texans qui disaient, rappelez-vous, que l'efficacité de l'absorption diminue en vieillissant. Ils sont cependant d'accord sur un point : les réserves de fer d'un bébé n'en affectent pas l'absorption, contrairement à chez l'adulte.

Le point le plus intéressant de cette étude est toutefois le suivant : à l'âge de 9 mois, plus le bébé reçoit de fer dans son alimentation, moins il absorbe celui du lait maternel. « Ah, ah! direz-vous. Cela démontre bien que les solides nuisent à l'absorption du fer! » Pas exactement. En effet, les scientifiques observent que le nombre de calories consommées n'affecte pas du tout l'absorption.

Cette observation est essentielle, car elle explique vraisemblablement les résultats contradictoires obtenus dans les autres études. Ce ne sont pas les solides eux-mêmes qui influencent l'absorption du fer, mais plutôt leur contenu en fer. 

Les chercheurs mentionnent d'ailleurs que les besoins en fer sont très importants chez les nourrissons en raison de leur croissance rapide. Ces besoins s'accentuent entre 6 et 9 mois, car les réserves constituées à la naissance s'épuisent. La régulation de l'absorption du fer se modifie donc pour permettre une plus grande assimilation à partir du lait maternel si l'alimentation est déficiente. Cependant, si le bébé reçoit beaucoup de fer par les solides, cette augmentation de l'absorption n'est pas nécessaire.

Alors voilà, vous croyez maintenant que la meilleure chose à faire pour qu'un bébé reçoive tout le fer dont il a besoin, c'est de retarder au maximum l'introduction des solides qui en contiennent une grande quantité. En fait, pas du tout. Comme je l'ai mentionné, l'absorption augmente à partir de 6 mois. Cependant, même si le bébé réussissait à absorber 100 % du fer se trouvant dans le lait maternel, celui-ci ne serait pas suffisant pour combler ses besoins. C'est pourquoi il est si important d'introduire rapidement des aliments riches en fer après l'âge de 6 mois

Références :

Abrams SA, Wen J, Stuff JE. (1997) Absorption of calcium, zinc, and iron from breast milk by five- to seven-month-old infants. Pediatr Res. 1997 Mar; 41(3) : 384-90.

Domellöf M1, Lönnerdal B, Abrams SA, Hernell O. (2002) Iron absorption in breast-fed infants : effects of age, iron status, iron supplements, and complementary foods. Am J Clin Nutr. 2002 Jul; 76(1) : 198-204.