7 avril 2014

La naissance d'un rire

Cette semaine, dans le cadre du « Pleins feux sur l'humour et la science » de l'Agence Science-Presse : le développement de l'humour chez l'enfant.

Y a-t-il quelque chose de plus beau qu'un enfant qui rit de bon cœur? Ce geste en apparence tout simple n'est pourtant pas banal. La capacité d'un tout-petit de comprendre une bonne blague dépend en effet de son développement cognitif. En d'autres termes, humour et intelligence vont de pair.

Pour pouvoir apprécier l'humour, il est essentiel de percevoir l'incongruité d'une situation, c'est-à-dire voir la différence entre ce à quoi on s'attend logiquement et la réalité. L'enfant doit donc pouvoir se représenter les objets et les évènements symboliquement, ce qui lui permettra de comparer l'anecdote racontée ou observée à une autre se trouvant dans sa mémoire.

C'est à partir de ce principe que Paul McGhee a pu établir les 4 stades du développement de l'humour en 1976. Le processus débute lorsque la fantaisie de même que le désir de faire croire des choses font leur apparition dans l'esprit de l'enfant.

Mon fils de 2 ans rit lorsqu'on joue au lion. On court dans la cuisine en disant « Je vais te manger! »
- Valérie
Le premier stade débute vers 18 mois et se termine autour de 24 mois. Le tout-petit aime alors faire semblant. La fille de Piaget, un célèbre expert du développement de l'enfant, adorait feindre de dormir en utilisant un bout de tissu comme un oreiller, ce qui lui provoquait des fous rires.

Mon fils s'amuse à dire la mauvaise couleur lorsque je lui pointe une image dans un livre. C'est très comique selon lui!
- Bruno
Vers 2 ans, les premières blagues verbales apparaissent. Les tout-petits pensent qu'il est hilarant d'appeler quelque chose par le mauvais nom. Par exemple, ils pointent leur œil en disant qu'il s'agit de leur nez. Ce genre d'humour ne dépend pas des actions ou des objets puisque les mots suffisent maintenant. Ce type de blague demande donc une plus grande capacité d'abstraction.

Mon garçon de 3 ans, pour lui, tant qu'on rit, il trouve ça drôle.
- Isabelle
Plus la blague est absurde, plus elle est drôle pour un petit de cet âge. L'humour devient alors plus complexe. À ce stade, un évènement est comique par son caractère inhabituel. Ces tout-petits s'amuseront donc de voir un chat qui fait meuh ou un éléphant assis sur un arbre. Les gags visuels sont aussi toujours très gagnants.

Mon fils de 6 ans adore jouer des farces plates et prévisibles.
- Isabelle
Bien que cela ne soit peut-être pas évident à première vue, l'humour d'un enfant de 6 ou 7 ans commence à ressembler de plus en plus à celui d'un adulte. Il peut notamment saisir les doubles sens, d'où la popularité des jeux de mots parfois faciles. La capacité de comprendre qu'un mot peut avoir plus d'une signification dans une même phrase représente un grand progrès d'un point de vue cognitif.

Et les bébés?
À 6 mois, mon fils riait si un bout de tissu tombait sur son visage et à 8 mois, c'est lorsqu'il entend des bruits de bouche. Ma fille de 18 mois préfère les culbutes, les sauts et les pirouettes de Maman et Papa.
- Marie Noëlle

Bien sûr, les bébés rient. On observe même ce comportement dès l'âge de 3 ou 4 mois. À ce moment, les bébés rient surtout en réponse à une stimulation physique. Les chatouilles et les jeux physiques sont toujours très populaires. À 5 mois, ils s'esclaffent lorsqu'ils jouent avec leur parent et à partir de 7 ou 9 mois, ils s'amusent devant un évènement visuel rigolo. Ce n'est que vers 9 ou 10 mois que les premiers signes du sens de l'humour apparaîtront.

Avant cela, le rire a plutôt un rôle social. En effet, le rire d'un bébé provoque un sentiment d'amour et de joie chez les parents. Il stimule alors le désir de proximité et celui de prendre soin du petit coquin. L'ocytocine, la fameuse hormone de l'amour, serait responsable de ces comportements. Plusieurs scientifiques croient donc que le rire du bébé pourrait favoriser l'attachement. Cependant, la situation n'est pas aussi simple. 

Une étude réalisée chez des bébés de moins de 6 mois révèle que ce sont plutôt ceux qui sont moins joyeux qui ont le meilleur style d'attachement à 1 an. Selon les chercheurs, deux explications sont possibles. D'une part, peut-être que les parents passent plus de temps à tenter de faire sourire leur petit si celui-ci est bougon, un comportement qui ultimement stimule l'attachement. D'autre part, il est possible qu'un nourrisson qui a des parents négligents, ce qui ne favorise pas un attachement sécuritaire, rie davantage dans le but d'intéresser ses parents à être plus présents.

Le rire des enfants nous en dit donc long sur le développement de leur intelligence et sur leur fonctionnement social et émotionnel. Il est parfois nécessaire de se le rappeler quand notre rejeton nous répète pour la dixième fois une blague un peu idiote entendue à la garderie!

Références :
Mireault G1, Sparrow J, Poutre M, Perdue B, Macke L. (2012) Infant humor perception from 3- to 6-months and attachment at one year. Infant Behav Dev.35 (4) : 797-802. doi : 10.1016/j.infbeh.2012.07.018. Epub 2012 Sep 14.

Riem MM1, van IJzendoorn MH, Tops M, Boksem MA, Rombouts SA, Bakermans-Kranenburg MJ.(2011) No laughing matter : intranasal oxytocin administration changes functional brain connectivity during exposure to infant laughter. Neuropsychopharmacology. 37(5) : 1257-66. doi : 10.1038/npp.2011.313. Epub 2011 Dec 21.

Shaffer, D.R., Kipp, K. (2010) Developmental Psychology : Childhood & Adolescence, 8th ed. Wadsworth, Cengage Learning: Belmont, p. 267.