27 juillet 2015

Le portage dans la tourmente!

Depuis quelques années, le portage est de plus en plus populaire. La preuve, les groupes Facebook de portage se multiplient. S'ils sont l'endroit idéal pour faire le plein de petits trucs pour mieux maîtriser les porte-bébés, ils sont aussi parfaits pour les échanges houleux. C'est ce qui se passe depuis quelques semaines avec un nouveau document rédigé par Mai-Anh Le Van, monitrice dans le groupe Mamasupial Montréal.

Selon Dre Le Van, qui est également médecin-urgentologue au Centre universitaire de santé McGill, son document ne constitue pas de nouvelles recommandations, mais plutôt une nouvelle façon de présenter les recommandations de base. « Elles ont été réajustées parce que le monde du portage se démocratise et que beaucoup apprennent sur internet, sans monitrice », explique Dre Le Van. Il est vrai que bien des parents portent maintenant leur bébé sans toujours consulter un professionnel. « De plus en plus, les gens demandent à leurs amis. “Est-ce que je suis bonne? Est-ce que ça a l'air bien?” » raconte Myriam Duchesneau, présidente et conceptrice des Créations Moa Pô. Son objectif comme fabricant est d'ailleurs d'offrir aux parents qui achètent un de ses porte-bébés toute l'information nécessaire pour les utiliser de façon sécuritaire et ainsi être plus autonomes.

Cependant, pour Dre Le Van, il était maintenant nécessaire de remettre les pendules à l'heure afin d'insister d'abord sur la sécurité et démentir des mythes qui circulent. « Sur le groupe Mamans adeptes du portage, le message de sécurité (ex. : surveillance des voies respiratoires, risque de chute) se perdait pour d'autres messages qui n'avaient pas de base », ajoute Dre Le Van. 

Voici donc quelques-unes des affirmations du document qui suscitent la controverse.

1) La position dite ‘non ergonomique’ et la position face au monde n’ont jamais été prouvées dangereuses.  Il n’y a aucune évidence scientifique que la position non ergonomique ne cause pas la dysplasie des hanches et ne l’empire pas non plus. L’école de portage allemande insiste beaucoup sur le positionnement des hanches, et ce, de manière minutieuse, mais rien de tout cela n’a jamais été démontré.

Cette affirmation est plutôt surprenante. Quiconque s'intéresse au portage a en effet déjà entendu parler des risques d'une position qui ne respecte pas la physiologie du bébé. Certains organismes comme la Fédération allemande des pédiatres ou l’International Hip Dysplasia Institute mettent d'ailleurs en garde les parents à ce sujet. 

« La dysplasie de la hanche est un problème génétique et n'est pas empiré par les porte-bébés non ergonomiques, persiste à dire Dre Le Van. En Europe, les écoles de portage sont plus académiques et se basent sur des théories, mais il n'a jamais été prouvé que la dysplasie de la hanche était empirée par le Baby Bjorn. De plus, c'est rebutant pour toute débutante qui arrive avec son Bjorn et qui se fait critiquer avec véhémence. » Myriam Duchesneau est, pour sa part, plus nuancée. « C'est vrai. À ma connaissance, il n'y a pas eu d'études empiriques sur un lien direct entre un positionnement dans un porte-bébé et des problèmes de dysplasie de la hanche. Est-ce que ça peut en provoquer? C'est possible. Si les moniteurs en parlent autant, c'est qu’on en connaît l’incidence dans certaines populations où on portait avec certains types de porte-bébé. Il ne faut toutefois pas oublié qu'il y a un facteur génétique. » 

Alors, avec ce qu'on sait de la physiologie des bébés devrait-on demeurer prudent selon elle? « Je suis tout à fait d'accord et la dysplasie de la hanche est loin d'être la seule raison pour laquelle on recommande un portage physiologique, » répond Myriam Duchesneau. Selon la présidente de Moa Po, les bébés sont portés de la même façon partout dans le monde, c'est-à-dire en position physiologique, parce que c'est ainsi que le bébé est le moins lourd. Cette position est donc bénéfique aussi pour le porteur. « On devrait dire tout simplement ce qui en est, croit Myriam Duchesneau. J'aurais écrit que certains groupes disent que la position physiologique est à favoriser parce qu'il y a certains indices qui indiquent que ça peut éviter la dysplasie de la hanche et aussi parce que c'est plus ergonomique pour le porteur et plus confortable pour l'enfant. » 

2) Le portage au dos doit débuter exclusivement lorsque le bébé peut s’asseoir seul à partir de la position couchée (donc 6-8 mois). Avant cela, son tronc n’est pas assez développé pour le soutenir et protéger ses voies respiratoires. Le bébé n’est pas assez développé pour se protéger ou signaler ses besoins dans cette position. Le bébé est forcément moins à vue lorsque porté au dos et la mère (qui le met là pour s’occuper d’autre chose) aura toujours moins tendance à surveiller son bébé (voies respiratoires, allaitement) lorsqu’elle l’a au dos.

Plusieurs parents prennent très vite l'habitude de porter au dos et apprécient la liberté que procure ce type de portage. Attendre l'âge de 6 à 8 mois pour le faire est donc une recommandation qu'on entend peu. De plus, le document sous-entend que le portage au dos pourrait accélérer le sevrage de l'allaitement.

Dre Le Van explique que, pour le portage au dos, ses collègues et elle-même préfèrent mettre une limite d'âge plus élevée parce qu'elles craignent que les débutantes ne fassent pas la distinction entre différents porte-bébés qui n’offrent pas tous le même niveau de sécurité. « De plus, le portage au dos avant 4 mois est fortement découragé, car il n'y a pas moyen de surveiller les voies respiratoires, ajoute-t-elle. Il y a également eu des anecdotes de porteuses expérimentées qui portaient leur petit dernier au dos pour des périodes prolongées et qui ont eu des difficultés d'allaitement et des sevrages précoces. Le message de la Canadian Babywearing School est que le portage au dos c'est pour la maman, pas pour le bébé. » 

Myriam Duchesneau a pour sa part développé une vision un peu différente du portage au dos en observant des mères d'autres cultures qui portaient leur bébé au dos très rapidement. « Ce que j'ai remarqué c'est que ces mères ont une sensibilité différente, raconte-t-elle. Nous, on regarde nos bébés, on leur parle. C'est beaucoup plus au niveau des yeux qu'on va savoir si tout va bien. Elles, c'est très sensitif. Elles les massent et les manipulent différemment de nous. Leurs bébés n'ont pas de couches, ils sont dans leur dos, et pourtant elles sont capables de savoir s'ils ont envie de pipi! Cette capacité se développe avec le temps. C'est vraiment étonnant. Quand on commence à porter notre bébé au dos, on développe cette habileté parce qu'on est coupé de nos modes de communication habituels. Après un certain temps, on se fait confiance. Je suis toutefois d'accord qu'il faut attendre d'avoir développé cette capacité à sentir les besoins de son bébé avant de faire du portage au dos. Moi, c'est ce que je préconise dans mes recommandations. » De plus, selon elle, la mise au dos est beaucoup plus facile et sécuritaire lorsque le bébé est un peu plus solide parce qu'il peut alors collaborer. Le porteur a aussi eu plusieurs mois pour apprendre à manipuler son bébé. Il est donc plus l'aise.

3) Un enfant porté de n’importe quelle manière pour n’importe quelle période de temps est mieux que n’importe où ailleurs. 

Je dois l'avouer, cette phrase m'a surprise. À la première lecture, j'ai cru qu'on voulait dire qu'un parent mettait son bébé en danger s'il ne le portait pas. Myriam Duchesneau a toutefois une explication logique à proposer. « On parle uniquement de sécurité ici. C'est vrai que statistiquement, il y a beaucoup plus d'accidents qui arrivent dans des sièges d'auto ou dans des poussettes parce que le parent n'est pas présent. Un porte-bébé, tu ne peux pas l'utiliser sans être là. » Selon elle, on devrait donc plutôt dû dire qu'un porte-bébé est plus sécuritaire parce que le parent est à proximité. Elle craint d'ailleurs que la formulation du document pousse certains parents à se dire « je vais installer mon bébé n'importe comment dans n'importe quel porte-bébé et ça sera sécuritaire ».

Il est important de mentionner que le document de Dre Le Van reprend les recommandations de la Canadian Babywearing School, une école portage offrant des formations au Canada anglais, et constitue en fait le résumé d'une formation offerte à des monitrices de portage. Selon Myriam Duchesneau, c'est ce qui explique que certaines affirmations manquent de nuances. « C'est un plan de formation et non pas un article. Cela veut dire que la nuance et les informations complémentaires seront données lors de la formation. Il n'y a rien de faux ici, ce n'est juste pas complet de par la nature du document. C'est ce qui laisse place à l'interprétation de premier niveau. »

La controverse entourant le document de Dre Le Van et les recommandations de la Canadian Babywearing School mettent toutefois en lumière un problème bien réel dans le monde du portage: l'absence de normes basées sur des preuves scientifiques solides. Pour cette raison, le peu d'information disponible laisse place à l'interprétation des différents formateurs, écoles ou concepteurs de porte-bébé. Pour un parent, il peut alors être difficile de s'y retrouver. Selon Myriam Duchesneau, c'est pourquoi il est important de nuancer et d'expliquer les raisons derrière certaines recommandations pour que les parents utilisent leur gros bon sens et ne se déresponsabilisent pas.

En vidéo, cinq questions sur le portage:


Sur la sécurité et le portage:
Le portage face au monde au banc des accusés
Risqués les porte-bébés?