26 juillet 2016

Provoquer le travail pour toutes les femmes enceintes à 39 semaines?

L’exercice a de quoi surprendre. Lors du dernier congrès de l’American College of Obstetricians and Gynecologists, des médecins ont débattu de la pertinence de provoquer l’accouchement chez toutes les femmes enceintes dès 39 semaines de grossesse. La conclusion du débat est encore plus choquante. « C’est d’une évidence écrasante : l’induction élective du travail est la stratégie logique », affirme Dr. Charles Lockwood, doyen du Morsani College of Medicine de la University of South Florida.

Cette opinion est partagée par le Dr. Errol R. Norwitz, chef du département d’obstétrique et de gynécologie de l’école de médecine de l’Université Tufts. Selon lui, continuer la grossesse après 39 semaines est plus risqué pour le fœtus que ce que l’on croyait et les risques associés à l’induction de routine sont plus bas pour la mère que ce à quoi on pourrait s’attendre. Certains médias médicaux ont donc pris le sujet au sérieux. Par exemple, le site Medscape a titré « L’induction à 39 semaines est mieux pour la mère et le bébé ».

Selon Nils Chaillet, professeur adjoint au département d’obstétrique et gynécologie et au département de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke, l’idée de provoquer le travail chez toutes les femmes à 39 semaines de grossesses est saugrenue. « Si vous induisez tout le monde à 39 semaines, que va-t-il se passer ? s’interroge le chercheur. Nous allons réduire certainement légèrement la morbidité des bébés qui seraient nés entre 40 et 42 semaines et qui ont des poids fœtaux un peu plus élevés. Nous allons aussi diminuer un peu le nombre de déchirures. Peut-être… Cependant, il s’agit d’effets mineurs. Au contraire, nous allons déclencher des bébés qui ne seront pas prêts et nous allons provoquer des césariennes. »

À cette objection, les deux obstétriciens répondent qu’une simulation de type Monte-Carlo réalisée par ordinateur indique que le nombre de césariennes serait en fait réduit. « La simulation de Monte-Carlo permet d’amplifier l’échantillon en prenant les paramètres statistiques disponibles sur une petite population et en les augmentant de manière aléatoire, explique Dr. Chaillet. Cela permet d’avoir un bon modèle, mais ça ne peut absolument pas remplacer une étude randomisée. »

Le chercheur de l’Université de Sherbrooke persiste donc à croire que l’induction de routine à 39 semaines aurait des effets désastreux. « Si nous faisons cela, nous allons tomber dans la fourchette des femmes qui accouchent le plus souvent, c’est-à-dire entre 38 et 40 semaines. Nous allons alors faire en sorte que beaucoup de bébés ne seront pas prêts, ce qui augmentera la morbidité, puis les césariennes. »

« Ces césariennes augmenteront aussi les complications infectieuses, continue Dr. Chaillet. Elles augmenteront également les complications placentaires lors d’une future grossesse et rendront des femmes plus à risque pour un deuxième accouchement parce qu’elles seront en situation d’AVAC. Il est absolument inconcevable de faire une induction à 39 semaines. » Cette proposition est également complètement en contradiction avec une vision moderne de la médecine obstétricale favorisant des soins personnalisés, souligne le chercheur.

Débattre pour débattre
Alors, pourquoi mettre à l’ordre du jour de la conférence de l’ACOG un tel sujet ? « C’était un exercice de style, explique Dr Chaillet. Le but de l’exercice est de tester les connaissances des gens et de préparer les nouveaux résidents qui seront de futurs médecins. Dans ces congrès, on voit beaucoup ce genre d’exercice. » Par exemple, Dr Chaillet se souvient d’un congrès où on avait débattu de la pertinence de laisser l’utérus ouvert après une césarienne.

« Ce n’est donc absolument pas une recommandation de l’ACOG pour l’instant ni une recommandation d’aucune société professionnelle. L’induction à 39 semaines peut être suggérée dans certains cas bien particuliers pour éviter ainsi de la morbidité. Cependant, pour l’instant, la routine est toujours de favoriser l’accouchement naturel et d’induire seulement à partir de 42 semaines », conclut Dr Chaillet.

« Dans le contexte où les soins prénataux sont déficients pour une partie importante de la population américaine à risque et souvent défavorisée, je peux comprendre l’intérêt des intervenants de la santé pour l’accouchement systématique à 39 semaines, souligne Dr Emmanuel Bujold, médecin, professeur à l’Université Laval et membre du centre de recherche du CHU de Québec. Mais à mon avis, ce serait remplacer un problème par un autre. On exposerait des milliers de fœtus en santé à des problèmes futurs. On se retrouverait à réduire la maturation et le développement fœtal à un nombre de semaines. Ce qui serait triste en fait... »

À propos de l'induction du travail:
Prudence avec l'ocytocine synthétique
Le décollement des membranes, une bonne idée?
L'effet mystérieux du déclenchement du travail sur les césariennes

Sources:
Ault, Alicia. (2016, 17 mai). Induction at 39 Weeks Is Better for Mother and Baby. Medscape.

ACOG. (2016, 17 mai). Support for Elective IOL at 39 Weeks Growing. www.acogdailynews.com