14 janvier 2013

Question de la semaine: Quel est l'âge biologique du sevrage?

Aujourd'hui, je réponds a la question de Doris Curty: "Biologiquement, sans parler de pressions et de culture, combien de temps devrait-on allaiter nos petits?"

Les pratiques entourant l'éducation des enfants varient de façon dramatique d'une culture à l'autre. On sait qu'à travers l'Histoire et avant l'avènement des laits artificiels, la plupart des enfants étaient allaités jusqu'à 3 ou 4 ans. C'est d'ailleurs encore le cas dans plusieurs sociétés traditionnelles alors qu'ici, dans les sociétés industrialisées, les enfants sont rarement allaités à l'âge d'un an.

Devant ces différences culturelles importantes, l'anthropologue Katherine A. Dettwyler s'est d'ailleurs demandée quel serait l'âge du sevrage chez l'humain s'il n'y avait pas le facteur culturel. On peut lire sa réflexion dans un texte intitulé "A Time to Wean: The Hominid Blueprint for the Natural Age of Weaning in Modern Human Population".

Selon Dettwyler, l'allaitement est à la fois un processus biologique et une activité réglée par la culture. En effet, l'allaitement n'est pas influencé seulement par des aspects comme la santé et la nutrition mais aussi par la vision culturelle de l'enfance et par ce qui est considéré comme une relation appropriée entre une mère et son enfant.

Toutefois, si on oublie cet aspect culturel, l'âge du sevrage dépend principalement de la génétique et de l'instinct. Par conséquent, selon Dettwyler, la meilleure façon d'évaluer l'âge du sevrage naturel, sans l'influence de la culture, est d'extrapoler les connaissances que nous avons sur le sujet chez nos plus proches parents: les grands singes. En effet, nous partageons environ 98% de notre matériel génétique avec les chimpanzés et les gorilles.

Ainsi, chez plusieurs espèces de grands mammifères, le sevrage se produit lorsque les bébés ont quadruplé leur poids de naissance. Chez l'humain, cela arrive entre 3 et 4 ans. Par ailleurs, on observe que certaines espèces se sèvrent lorsqu'elles atteignent environ le tiers du poids adulte. Chez l'humain, on parlerait alors de 6 à 7 ans.

On remarque aussi qu'il semble y avoir un lien entre le poids de l'adulte et l'âge du sevrage. Par exemple, les primates allaitent leurs rejetons plus longtemps que les mammifères qui sont de plus petit poids. Par conséquent, en tenant compte du poids typique d'un adulte, le bébé humain devrait être allaité entre 2,8 et 3,7 ans.

Du point de vue du développement, on a remarqué que chez plusieurs espèces de primates, le sevrage coïncide avec l'éruption des premières molaires permanentes. Chez les enfants humains, ces dents poussent habituellement entre 5 et 6 ans. Par ailleurs, Dettwyler remarque que la maturation complète du système immunitaire pourrait aussi servir pour établir l'âge du sevrage. Dans ce cas, le sevrage chez l'humain devrait se faire autour de 6 ans.

Enfin, le système reproductif peut aussi être utilisé pour tenter de déterminer l'âge du sevrage naturel. Par exemple, certaines espèces se sèvrent à mi-chemin de l'âge de la maturité sexuelle, ce qui correspondrait à 6 ou 7 ans chez les enfants humains. Par contre, on remarque que chez les chimpanzés et les gorilles, les bébés sont allaités pour une durée correspondant à six fois la durée de la gestation. Selon ce critère, le sevrage se produirait plutôt autour de 4 ans et demi chez l'humain.

En résumé, en comparant l'être humain avec les grands mammifères et, plus particulièrement, les grands singes, Dettwyler conclut que l'âge biologique du sevrage chez l'humain se situe quelque part entre 2 ans et demi et 7 ans. Toutefois, l'anthropologue mentionne que le résultat de ces recherches ne devrait pas être utilisé comme un argument pour déterminer combien de temps un bébé devrait être allaité.

En effet, la culture et le mode de vie sont des éléments importants qui, s'ils peuvent disparaître le temps d'une analyse, influencent nos choix qu'on le veuille ou non. De plus, chaque femme et chaque bébé devrait pouvoir décider eux-mêmes quand la relation d'allaitement prendra fin. 

En fait, l'intérêt de ce type d'étude est plutôt de réaliser l'écart qui existe parfois entre les exigences de notre société et celles de notre instinct biologique. C'est lorsqu'on réalise cela qu'il est alors possible de trouver des compromis pour mieux réconcilier ces deux impératifs.

Tous les lundis, je réponds à une question des lecteurs sur la périnatalité. Il y a quelque chose que vous auriez toujours aimé savoir concernant la grossesse, l'accouchement, l'allaitement ou le maternage? Écrivez-moi à info@mamaneprouvette.com et je tenterai de trouver la réponse.

Références:
Dettwyler KA. A time to wean: the hominid blueprint for the natural age of weaning in modern human populations. In: Stuart-Macadam P, Dettwyler KA, editors. Breastfeeding: biocultural perspectives. New York: Aldine de Gruyter; 1995. pp. 39–73.

Dettwyler, K. A.(1997) A Natural Age of Weaning. Consulté le 13 janvier 2013 à l'adresse: http://www.kathydettwyler.org/detwean.html