6 janvier 2013

À propos de l'étude recommandant de laisser pleurer son bébé...

Face à la désinformation à laquelle nous sommes exposés dans les médias depuis quelques jours, j'ai choisi d'écrire un billet spécial concernant l'étude qui, supposément, démontrerait qu'il est préférable de laisser pleurer son enfant s'il se réveille la nuit.

Il semble qu'encore une fois les médias n'ont pas pris la peine de vérifier si les résultats de cette étude appuyaient effectivement les conclusions rapportées.

L'étude dont il est question a été publiée dans le journal Developmental Psychology sous le titre "Patterns of developmental change in infants' nighttime sleep awakenings from 6 through 36 months of age". Il s'agit donc d'une étude descriptive tentant de déterminer l'évolution des patterns de sommeil chez des enfants jusqu'à l'âge de trois ans.

Les chercheurs ont donc recruté plus de 1200 enfants et ont analysé le sommeil de ceux-ci sur une période de trois ans. Pour y parvenir, les mères devaient répondre à des questions sur le sommeil de leur bébé dans la dernière semaine.

Selon les auteurs, l'étude a permis de partager les enfants en deux groupes. D'un part, le groupe des dormeurs qui ne se réveillaient pas plus qu'une fois par semaine dès l'âge de 6 mois et ce, de façon stable jusqu'à 3 ans. Environ 66% des enfants se retrouvaient dans ce groupe. Le deuxième groupe, appelé dormeurs transitionnels représentait 34 % des enfants. Ces enfants se réveillaient environ 7 fois par semaine à 6 mois, puis 2 fois par semaines à 15 mois et finalement 1 fois par semaine à 2 ans. 

Dans les deux groupes, les réveils nocturnes étaient plus souvent associés au fait d'être un bébé irritable à 6 mois, aux maladies de l'enfant, à la dépression maternelle, à l'allaitement et à une plus grande sensibilité maternelle.

À la lumière de ces résultats, on comprend difficilement comment on peut conclure qu'il est préférable de laisser pleurer un bébé. En effet, plusieurs facteurs prédisant le nombre de réveils semblent être propres à l'enfant. Par exemple, l'irritabilité du bébé à 6 mois est une caractéristique de l'enfant qui peut être due soit à un tempérament plus sensible, soit à une condition physique problématique (par exemple, un bébé souffrant de reflux gastro-oesophagien). Il est difficile de comprendre comment le fait de laisser pleurer un tel enfant pourrait régler le problème.

En fait, les auteurs se basent vraisemblablement sur le fait que les mères avec une plus grande sensibilité maternelle ont des bébés qui se réveillent plus souvent. Ils présument donc que ces mères interviennent trop et empêchent ainsi le bébé d'apprendre à dormir seul.

Rappelons toutefois, qu'en recherche, une association ne peut jamais être considérée comme une relation de cause à effet. Dans ce cas, par exemple, il serait aussi possible que les enfants qui dorment moins bien aient besoin d'une mère plus attentive à leurs besoins et que c'est la situation qui développe la sensibilité maternelle plutôt que l'inverse. Par ailleurs, rien ne démontre que les mères moins sensibles laissent leur enfant pleurer la nuit. Cette étude n'offre d'ailleurs pas d'information sur la façon dont les mères réagissaient aux éveils de leur enfant.

Donc, que pouvons nous conclure vraiment de cette étude? Premièrement, que tous les bébés ne sont pas identiques lorsqu'on parle de sommeil et que les éveils nocturnes sont assez courants même après 6 mois (environ le tiers des enfants). Deuxièmement, que certaines caractéristiques de l'enfant et de son environnement sont associées (mais pas nécessairement responsables) aux éveils nocturnes. Troisièmement, que tous les bébés finissent par faire leur nuit et que, graduellement, même les moins bons dormeurs se réveillent de moins en moins.

Ainsi, malgré le fait que les journalistes (et même l'équipe de chercheurs en entrevue) mentionnent qu'on a maintenant la preuve qu'il faut laisser pleurer son bébé, rien dans cette étude n'appuie cette affirmation. Les chercheurs semblent toutefois avoir une préférence pour cette approche mais cela demeure leur opinion et non pas le résultat d'une étude convaincante.

Enfin, j'aimerais mentionner que le but de ce billet n'est pas de défendre une approche plutôt qu'une autre mais plutôt de corriger une mauvaise couverture médiatique. Les parents reçoivent déjà suffisamment d'information et de conseils de tous et chacun. Ils n'ont donc pas besoin d'être exposés en plus à de fausses informations essayant de leur faire croire qu'ils sont responsables des réveils de leur enfant. Les parents devraient plutôt écouter leur instinct et faire ce qu'ils jugent bon pour leur enfant.

Référence:
Weinraub, Marsha; Bender, Randall H.; Friedman, Sarah L.; Susman, Elizabeth J.; Knoke, Bonnie; Bradley, Robert; Houts, Renate; Williams, Jason. Patterns of developmental change in infants' nighttime sleep awakenings from 6 through 36 months of age. Developmental Psychology, Vol 48(6), Nov 2012, 1511-1528.